mardi 17 juin 2014

Doit on faire preuve de compassion aux urgences ?





Ou plutôt, peut-on faire preuve de compassion aux urgences.
AAAArgh! Ca y est, j'ai craqué et j'ai montré mon vrai visage, celui du médecin sûr de lui, méprisant, ne voyant dans le patient qu'un organe et un portefeuille.
Que les belles âmes se calment et aillent boire une tisane.
J'en parle dans ce post car finalement c'est le principal reproche qui est fait dans les courriers de réclamation. Alors, les infirmières et les médecins des urgences sont-ils des robots sans cœur ? Bien sur que non et la plupart d'entre eux font ce métier, non seulement par intérêt mais aussi par principe de bienfaisance (et oui, cher ami lecteur anonyme donneur de leçon derrière ton écran) mais cela ne veut pas dire qu'ils sont meilleurs que la société elle-même.
Je vois derrière cet apparent manque de compassion plusieurs causes. La première, c'est évidemment que le personnel est calculé en fonction des soins médicaux à donner et pas de l'accompagnement. 
Ensuite, ce personnel n'a pas une fonction d'accueil mais de soins. Ils sont allés dans des écoles d'aide soignant, d'infirmière et de médecins pas à l'école hôtelière.
De plus, ils ne peuvent pallier avec leurs petits poings le manque de compassion de la société elle-même. Et pourtant c'est ce qu'on leur demande tous les jours. Et gratuitemement. Comment vous voudriez qu'on paie la compassion ?
Oui car la compassion a un cout.
Garder un SDF dans le service des urgences a un cout et si vous le sortez des urgences car le SAMU social ne peut pas le predre, vous manquez de compassion.
Hospitaliser une patiente agée vivant seule à la demande de ses enfants a un coût, ou sous un pretexte falacieux car il n'y a pas de médecin qui passe le week end à la maison de retraite.
Des exemples, il y en a plein d'autres. Et ce coût ce n'est pas seulement celui du manque à gagner du codage puisque ces patients ne rapportent rien à l'hôpital (qui nous paye)  mais c'est également une mauvaise prise en charge des patients


mardi 10 juin 2014

Demain dès l'aube, je partirai ... aux urgences

Parmi les nombreux a priori en médecine d'urgence, on pense que les patients de faible gravité viennent aux urgences non pas à l'heure où blanchit la campagne mais à celle où les cabinets médicaux sont fermés, d'où la création des maison médicales de garde et autres SAMI. On accuse même les hôpitaux de les attirer exprès pour augmenter leur chiffre d'affaire.
Nous avons donc entrepris d'étudier les horaires de consultation de nos patients les moins graves. Cette étude a été présentée au congrès de médecine d'urgence en juin 2014 sous le titre "Les patients de faible gravité viennent-ils aux urgences lorsque les cabinets sont fermés ? Une analyse des horaires de consultation des patients dits de ville."  
En voici le résumé un peu augmenté par des digressions plus ou moins intelligentes (plutôt moins) et agrémenté de superbes graphiques (un) réalisés par moi même et d'autres liens, sinon c'est un peu ennuyeux. C'est tellement beau, on dirait du Michel Ange.


Introduction : Un certain nombre de patients des urgences sont considérés comme relevant de l’ambulatoire. La présence de ces patients aux urgences fait débat quant à leur réorientation systématique vers les maisons médicales de garde.Celles-ci se positionnant comme partenaires voire concurrentes des urgences quant à la prise en charge des patients de faible gravité.
On considère même que c'est grâce à elle que l'activité des urgences croit moins vite dans le Val de Marne qu'ailleurs  "Over the 2008-2011 period, The Ile-de-France region experienced an increase of 10.4% in attendance Hospital Emergency Services, in Val-de-Marne it was significantly less (6.4%)". [Yann-Mael, Douarin L, Chicoye A. Economic efficiency of Medical Care Centres. The example of Val-de-Marne. Médecine. 2014;10(3):134-139. doi:10.1684/med.2014.1082.]
Objectif : Nous voulions connaitre les jours et les heures des visites des patients de faible gravité (niveaux 5) dans notre centre (les urgences de l'hôpital St Camille à Bry sur Marne). Dans cet hôpital est implanté un SAMI qui ouvre le soir en semaine (20-24), le samedi de 14h à 0h et le dimanche de 8 h à minuit (source Statistiques SAMI Val de Marne) Ce SAMI est tenu par des médecins généralistes libéraux installés ou des remplaçants.

Matériels et méthode : Nous avons procédé à un recueil prospectif sur 2 ans des niveaux de gravité, cotés par une infirmière à l’aide d’un protocole de tri à 5 niveaux (T1 à T5), 5 le moins grave. 
Il y essentiellement deux manières de coter la gravité des patients. 
La première est a priori et il s'agit d'évaluer la gravité par l'infirmière d'accueil à l'aide d'une échelle validée (la plus connue est l'échelle canadienne) et c'est elle que nous avons utilisé car nous voulions étudier les patient qui paraissaient relever de la médecine générale à l'accueil des urgences.
Une deuxième technique consiste à regarder la cotation du patient a posteriori grâce au score de CCMU (classification clinique des malades aux urgences) et dont le niveau 1 est "État clinique jugé stable. Abstention d’acte complémentaire diagnostique ou thérapeutique. Examen clinique simple". Mais là c'est après l'avoir examiné qu'on sait que le patient, finalement, n'avait pas besoin du plateau technique des urgences (et à mon avis, celui qui utilise ça comme cotation, c'est le type qui à la fin du polar dit "je le savais" mais en fait il le savait pas).


Une analyse descriptive, des ANOVA des présences des T5 en fonction de l’heure du jour, du jour et du mois ont été réalisés.
Résultats : 79725 patients (t'as vu c'est sérieux) ont été inscrits, 39% ont été cotés T1 à T3, 45% T4, 11,9% T5 et 4,1% n’ont pas de tri. Il n’existe pas de différence significative des moyennes des présences en fonction de l’heure selon les mois (p=0,24) mais selon les jours (p=0,001), avec un maximum le dimanche et le lundi à 26,6 et un minimum le mardi à 19,7. Par contre les distributions horaires par jour ne sont pas différentes (test Kruskal Wallis, p=0,46). En moyenne, 87,4% des patients T5 se sont présentés avant 18h (70% entre 9h et 18h). Il n'existe pas de différence des distributions selon les mois.
 
en abscisse, c'est les heures de la journée. Ca me semblait évident mais ma femme n'a pas compris, alors comme je n'ai pas voulu la vexer, j'ai mis cette légende

Limites: Il s'agit d'une étude sur un seul centre pendant 2 années consécutives. Les limites méthodologiques sont nombreuses, par exemple on ne sait pas si la diminution vespérale (j'adore ce mot) est due à une diminution des présentations ou à la présence du SAMI. L'orientation des patients après la consultation n'a pas été étudiée.
Discussion : les patients de faible gravité apparente se présentent aux heures de la journée même en semaine. Le niveau de patients T5 correspond aux données de la littérature (entre 10 et 15%).  Alors qu’il existe une maison médicale de garde ouverte le dimanche en journée dans l’hôpital, cela ne diminue pas le nombre de présentations, au contraire.

Conclusion : La demande de soins des patients ambulatoires aux urgences de notre hôpital est majoritaire aux heures d’ouverture des cabinets médicaux. En soirée, soit la demande diminue, soit elle est prise en charge par les SAMI. Ces patients relevant a priori de la médecine de ville sont loin de représenter la majorité des patients des urgences.

Il s'agit bien évidemment d'une étude très incomplète mais tout de même intéressante car elle montre le faible impact de ces patients sur les urgences. L'accusation habituelle de détournement de ces patients vers l'hôpital (on se demande comment on fait, personnellement en bas résille je suis assez peu attirant, quoique) est peu fondée car ils y viennent spontanément et finalement en petit nombre. La plupart des patients s'y présentent avec des signes de plus forte gravité ou de demande de soins ou d'examens complémentaires a priori urgents qui ne relèvent pas a priori du cabinet médical, sans forcément être du ressort d'un service d'urgences suréquipé.

Sinon, je remercie encore une fois les participants qui ont tenu jusqu'au dernier moment vendredi 6 juin pour écouter cette présentation à 17h55. Mais faut dire aussi que c'était vachement bien.





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Comme d'habitude, ce blog est l'expression de mes opinions personnelles, n'engage que moi et ça suffit déjà bien comme ça. ...