Ami lecteur et souvent urgentiste, toi qui vient sur ce blog pour sourire entre deux gardes, saches qu'aujourd'hui, j'ai décidé d'arrêter la rigolade, provisoirement j'espère.
Dans 8 jours ce sont les élections présidentielles. Cela pourrait, considérant la possibilité d'un passage de l'extrême droite, avoir une influence majeure sur notre métier et nos conditions de travail. Et je pourrais vous en faire des tonnes sur le programme du front national qui promet des hôpitaux de proximité sans financement (et sans médecin) ou sur une possible dévaluation d'un franc retrouvé qui entrainerait l'impossibilité de racheter du matériel de haute technologie (scopes, ECG, respirateurs, échographes), déjà très cher mais qui deviendrait hors de prix. . Je pourrais également vous parler de santé publique, dire que la protection sociale des sans-papiers cela empêche la propagation de maladies de la pauvreté comme la tuberculose, par exemple et que finalement cela nous protège également, égoïstement.
Non ce qui m’angoisse aujourd’hui c’est de me dire qu’un gouvernement pourrait complètement pervertir ce métier auquel je crois. Nous recevons quotidiennement tous nos patients, français ou étrangers, quels que soient leur couleur de peau, leur sexe, leur genre. Et même si ça ne se fait pas parfois sans apriori (car nous ne sommes pas des âmes éthérées et que nous avons tous nos vies, nos sensibilités), ce n’est jamais remis en cause. Parfois, nos patients n’ont pas de papiers, pas de couverture sociale et de façon certainement irresponsable sur le plan financier, ce n’est jamais un problème dans l’urgence. C’est notre fierté.
Nos rapports avec la police sont quotidiens, souvent compliqués. Parfois nous travaillons de concert, parfois nos logiques s’affrontent. J’ai souvent été protégé par la police, contre des patients violents ou leur famille. Mais parfois, c’est différent. Je reçois de temps en temps des réquisitions auxquelles le code de déontologie m’interdit de répondre, heureusement. Je me suis fait menacer d’être arrêté parce que j’ai demandé de modifier une réquisition qui ne faisait pas la différence entre le directeur de l’hôpital et le chef des urgences, le procureur m’a appelé car j’avais interrompu un interrogatoire, on m’a demandé quelquefois la pathologie d’un patient. A chaque fois, j’ai pu dire non, mi goguenard, mi inquiet quand même. Qu’en sera-t-il demain ?
Et que dire des personnels. Les médecins bien sûr dont beaucoup sont d’origine étrangère. Ils forment un nombre conséquent d’urgentistes, pas toujours par vocation, c’est vrai, mais parce que le système ne leur laisse pas le choix, avec un rythme de travail que peu de français acceptent encore. Ces médecins qui se dévouent quotidiennement, quelle sera leur vie ? Et quelle sera celle des urgences quand ils seront partis ou qu’on les aura fait fuir ?
Les paramédicaux, infirmières et aides-soignants, et les autres
ASH (femmes de ménages), brancardiers, mal payés, souvent méprisés par les
patients. Ceux-là sont français mais dans les hôpitaux où j’ai travaillé,
beaucoup étaient issues de familles modestes, souvent français de première ou
deuxième génération. Ils ont déjà l’impression d’être laissés pour compte d’un
système de santé qui les paie peu et les exploite (et je sais que certains d’entre
eux votent FN) mais demain, acceptera-t-on que par leur couleur de peau ou leur
religion, ils soient des citoyens de deuxième zone ?
La religion, parlons-en également. Nous avons des tensions
parfois surtout avec les patients. Mais dans un service qui travaille 7jours
sur7 et 365 jours par an, celle-ci n’a pas voix au chapitre et chacun doit
faire des arrangements avec ses collègues et souvent avec soi-même pour assurer
sans discontinuer.
Alors non, mon métier n’est pas compatible avec l’élection d’une
candidate des extrêmes.
Merci Mathias, c'est bon de lire la réalité parfois occultée de notre quotidien.
RépondreSupprimerAmitiés.