Bientôt l’été et on commence à reparler de fermetures de services d’urgences, comme depuis des années. Et nous aurons les politiques, pour s’accuser les uns, les autres. Nous aurons les syndicats et autres collectifs pour demander des augmentations de moyens, de personnels et de salaires. C’est un besoin indéniable maintenant mais qui ne suffira pas. Comme tous les étés, on rafistolera avec des suppressions de vacances, des heures supplémentaires, une charge accrue sur les services qui resteront ouverts, entrainant à la rentrée de nouveaux départs. Ce refrain on l’entend depuis des années. Mais cette année les problèmes ont commencé bien avant l’été.
Pourtant, on sait que depuis des années sous divers gouvernements, plusieurs plans urgences nous ont donné des moyens mais des moyens jamais suffisants dans une course sans fin derrière l’activité. Pendant ces années, les urgences se sont professionnalisées et ce ne sont plus des internes qui en sont responsables (quoique veulent nous faire croire certains démagogues). Les horaires se sont normalisés ou au moins sont décomptés. Les locaux se sont agrandis, nous nous sommes massivement informatisés.
Pourtant de plus en plus de services ferment, au mieux la nuit, au pire pendant des jours, ne répondant plus aux besoins de la population. Alors bien évidemment il faut freiner l’afflux de patients qui viennent aux urgences par défaut d’offre. Bien sûr, il faut s’assurer que les patients hospitalisés trouvent une place dans l’hôpital.
Mais le problème principal actuellement est la fuite des personnels. Certes des médecins et des paramédicaux quittent l’hôpital pour s’épanouir ailleurs, dans des cliniques privées ou des activités de ville. Depuis des années, on parle de la fuite des médecins, lassés de l’hôpital, de ses carcans mais aussi attirés par l’intérim, sa souplesse et ses rémunérations. Désormais, c’est le personnel paramédical qui fuit. Pas seulement les urgences mais tout l’hôpital. Si on fait abstraction (mais il ne faut pas l’oublier) du mouvement général de départ des travailleurs des entreprises post COVID et particulièrement des soignants et ça dans le monde entier, il subsiste des raisons particulières à l’hôpital public et particulièrement aux urgences.
Paradoxalement, les paramédicaux demandent des journées plus longues (passage en journées de 12h au lieu de 7 à 8h), à l’origine de nombreux mouvements sociaux. On doit s’interroger sur leurs rapports avec l’hôpital bien sûr mais aussi avec notre spécialité d’urgentiste et la place qu’elle leur accorde. Il existe des causes extrinsèques à nos services. La journée de 12 h permet de venir moins souvent à l’hôpital, réduire les trajets, diminuer le nombre de jours de présence, parfois pour sa vie privée, parfois pour faire des vacations à l’extérieur (comme pour les médecins d’ailleurs). Il est important de noter que cette demande d’évolution est subie par l’hôpital mais aussi par les organisations syndicales
Par ailleurs l’organisation des urgences est composée de deux pôles, l’extrahospitalier avec le SAMU et ses ambulances de réanimation médicalisées (les SMUR) et l’intra hospitalier, les services d’urgence. A l’heure où on ferme des services d’urgences (quand on ne trouve plus personne de l’hôpital, même non urgentiste, pour y faire des gardes) on fait souvent le choix de plutôt laisser un SMUR avec un médecin et une infirmière pour les « urgences vitales » avec quelques sorties en 24h. Il n’a jamais été prouvé le bénéfice de choix par rapport à celui de laisser le service d’urgences ouvert et le SMUR fermé.
Pourtant d’autres solutions existent. Des solutions expérimentées parfois par nous-mêmes, comme des infirmiers en intervention, et de la telérégulation comme il existe de la téléconsultation. Elles permettraient de remettre des urgentistes … aux urgences. On ne peut plus demander à des médecins spécialistes de l’hôpital quand il y en a encore, de faire des gardes aux urgences alors que des urgentistes n’y vont plus. Cette solution permettrait aussi d’affirmer le rôle de la régulation des SAMU dans les soins urgents et vitaux.
Les urgentistes qui ont révolutionné les prises en charge de nombreuses maladies doivent se révolutionner eux même, sortir des positions obsolètes. Sait-on que ce sont les pompiers qui les premiers ont mis dans infirmiers seuls dans des ambulances ? Ont permis de faire faire à des secouristes des électrocardiogrammes lus à distance par des médecins? Ça aurait dû être nous, médecins spécialistes de l’urgence d’avoir inventé et mis en place ça. Nous avons laissé passer l’occasion
Il nous faut une vision politique pour garder nos collègues infirmiers et sortir du conservatisme du rôle de l’infirmier et des autres soignants. Il nous faut sortir de notre pratique du management, fonctionnant sur les vieilles hiérarchies hospitalières alors que sur le terrain les relations sont horizontales dans un respect de l’expertise de chacun. On parle beaucoup d’associer les médecins à la gouvernance de l’hôpital (proposition que nous avions fait avec notre groupe la fabrique de la santé) mais personne ne parle d’associer les paramédicaux dans la gouvernance des services, voire d’en prendre la responsabilité. Il faut que nous fassions émerger la nouvelle génération de paramédicaux que nous pourrons accompagner dans de nouvelles carrières, sur le terrain et dans les universités comme dans les autres pays. C’est essentiel pour eux, c’est vital pour nos services.
Il est temps que les choses changent. Il est temps que la démocratie s’installe dans les organisations.
Sinon l’année prochaine, nous répèterons toujours les mêmes choses, jusqu’à que les urgences disparaissent de l’hôpital public.