Cher lecteur, depuis fort longtemps, je me disais que ce serait bien d'écrire un article sur les relation entre la police et les urgences et sur le secret médical. Comme le sujet est touchy et que j'ai suffisamment d'ennuis comme ça (et que je suis un peu lâche), j'ai toujours repoussé. Mais l'actualité récente me poussent à ouvrir déchirer ma chemise et à révéler ma vraie personnalité de superhéros.
Récemment a éclaté l'affaire SI-VIC que je vais résumer pour mes futurs lecteurs de mes œuvres lorsqu'elles seront publiées dans la Pléiade. Au mois de novembre 2018 ont commencé des manifestations hebdomadaires dites des gilets jaunes. Ces évènements ont provoqués des heurts violents entre les forces de l'ordre et les manifestants. Très rapidement les samedis suivant, en décembre, les hôpitaux ont reçu la consigne de mettre en place le registre SI-VIC de victimes de situations sanitaires exceptionnelles en séparant les victimes civiles identifiées par leur nom, prénom etc, des victimes appartenant aux forces de l'ordre identifiées par leur numéro d'identification. De nombreux (voire la plupart) urgentistes se sont interrogés voire ont refusé de le remplir, certains en le déclarant officiellement à leur administration. Pourquoi, parce qu'ils pensaient que SI-VIC n'étaient pas fait pour ça et qu'en plus les victimes civiles étant probablement surtout des manifestants, cela revenait à les ficher, d'autant plus que la police était identifiée différemment. Les urgentistes considéraient également que ce fichier, comme tout fichier informatique pouvait être transféré aux forces de l'ordre, et là ami lecteur tu verras que c'est un point très intéressant à la base de la polémique.
Il y a eu de nombreux échanges entre professionnels, en direct, par mails et sur les réseaux sociaux. Les autorités ont été prévenues de ce problème, au moins de façon officieuse et il a été répondu officiellement que les manifestations étaient considérées comme un évènement à risque sanitaire majeur, que le fichier était couvert par le secret médical et déclaré à la CNIL en tant que tel et non transmissible au ministère de l’Intérieur. Dont acte, ce qui n'a pas empêché de nombreux urgentistes de continuer à ne pas le remplir (ce qui ne leur a pas demandé beaucoup d'efforts, vu qu'ils ne répondent jamais aux questionnaires). Les hôpitaux ont souvent demandé à leurs administratifs de le faire, souvent mollement.
Un article a même été publié dans Mediapart (lecteur du futur, il s'agissait d'un journal sur internet très à gauche) par un syndicaliste des urgences. Mais celui-ci étant éloigné des urgences et s'indignant toutes les semaines pour un sujet différent, cela n’eut pas beaucoup de portée.
Jusqu'à ce jour fatal où à l'occasion d'une garde un samedi, un urgentiste/présentateur TV découvrit les messages SI-VIC. Fort de ses réseaux et de son audience, il lança une campagne médiatique qui aboutit à un article dans le Canard Enchainé (et lecteur du futur, tu connais, ça existe encore). Comme ce n'était pas suffisant une pétition fut lancée qui présentait plusieurs caractéristiques : elle dénonçait un éventuel fichage des orientations politiques, religieuses et sexuelles (qui n'existent pas dans SI-VIC ou même dans les dossiers médicaux et dont les médecins se foutent complètement), elle statuait que les signataires défendraient le secret médical de leur vaillante poitrine.
Et surtout elle ne fut signée que par des gens à qui on le proposait (comment je le sais? On me le proposa et oui j'utilise le passé simple si je veux). Résultat, il n'y avait que deux urgentistes qui bossaient vraiment aux urgences sur les 100 signataires, dont un appartenant au même syndicat que celui qui avait fait l'article dans Mediapart, ainsi qu'une ribambelle de personnalités médicales dont les points communs étaient qu'ils n'avaient pas foutu les pieds aux urgences depuis Mathusalem et d'être politiquement et publiquement opposés au gouvernement, de gauche et de droite (ce qui montraient la soudaine ouverture d'esprit des membres de l'extrême gauche à l'origine de la pétition). On trouvai même des médecins à la carrière controversée habitués du site d'Alain Soral (là cher lecteur du futur, c'est normal que tu ne connaisses pas. Il s'agit d'une fripouille raciste et antisémite qui après son séjour en prison tomba dans les oubliettes de l'histoire).
En réalité, le problème du secret médical est un problème récurrent aux urgences ou parfois les clients de la police sont aussi les nôtres, et vice et versa. Tout d'abord, on a beaucoup glosé sur SI-VIC dont le fichier risquait d'être transmis aux autorités mais en réalité en région parisienne où a éclaté le scandale, la police et les pompiers partagent le même plateau d'appels. Les logiciels sont séparés et on nous assure que tout est fait pour protéger le secret médical et il n'y a aucune raison de ne pas le croire. Malgré les tensions entre rouge et blancs, les médecins restent des médecins avec les mêmes règles. Mais là où la transmission de SI-VIC nécessiterait un transfert physique du fichier d'un endroit à l'autre, on se trouve ici avec des fichiers au même endroit et donc plus de facilité pour croiser les informations.
Une fois aux urgences, il n'est donc pas rare que la police nous amène des clients. Souvent pour des ivresses et là nous répondons à une question simple sur la possibilité de garder les patients à la police ou chez nous (chacun espérant que ce soit chez l'autre). C'est une situation fréquente et simple, même si elle n'est pas dénuée de risque et on a connu plusieurs affaires de morts en cellule de dégrisement.Là où ça se corse, c'est lorsque la police nous amène des gens en garde à vue, parfois pour des examens toxicologiques. C'est la réquisition. Mais là encore de mon point de vue de béotien c'est encore relativement simple si on est réquisitionné quand on nous amène l'individu mis en cause (je parle comme un fonctionnaire de la police). On m'a appris que je devais dire au patient que j'étais réquisitionné pour donner des informations à la police qui ne seraient pas couvertes par le secret médical. A charge pour le patient de ne pas me raconter ses turpitudes. Pour les victimes qui se présentent, nous remettons un certificat de coups et blessures en main propre qui leur permet (OU PAS) de porter plainte. Tout va bien. Tout le monde est content avec la paperasse. Youpi.
Et puis si la police a besoin du dossier après, il saisissent un juge qui envoient des officiers de police judicaires saisir le dossier avec une représentant de l'Ordre qui s'assure que tout est fait pour préserver le dossier médical. encore Youpi.
En vrai, ca ne se passe pas toujours comme ça.
Souvent la police demande des trucs qu'ils considèrent comme urgents et surtout que le secret médical n'est qu'un secret professionnel qui n'est pas opposable aux forces de l'ordre. Par exemple une réquisition a posteriori (le patient est parti donc il ne peut pas savoir que vous étiez réquisitionnés, d'ailleurs vous ne le saviez pas non plus) parce que saisir un dossier c'est compliqué et en général c'est super urgent (des fois c'est vrai, des fois...moins), des demandes de certificat de coups et blessures sans que le patient soit au courant et sans que vous sachiez s'il a réellement porté plainte. et dans certains endroits, ce genre de pratique est assez répandue et d'autres non.
Alors certains urgentistes acceptent, d'autres non. Et dans ce cas, les réactions sont parfois folkloriques allant jusqu'à la menace du procureur (et il est très décevant voire vexant que celui-ci finalement n'appelle jamais).
Vous me direz et le conseil de l'ordre. Ben comment dire? Il y a son site plutôt bien fait mais dont la police et parfois le service juridique de l'hôpital disent que c'est une mauvaise interprétation de la loi. Et les conseils qui sont le plus souvent "non mais y a jamais de poursuites" qui sont très rassurants.
Voilà après ce très long post je voudrais remercier les policiers qui viennent tous les jours dans nos services et avec qui ça se passe bien. Je voudrais aussi remercier ceux sans qui je n'aurais pas pu écrire ce texte et parmi eux mes préférés : celui qui a menacé de me mettre "au cachot avec les pinces" parce que je lui ait demandé de refaire la réquisition (il ne m'a pas "jeté au trou" au grand dam de l'IDE qui avait déjà sorti son téléphone pour m'immortaliser) ou celle qui a appelé le procureur parce que j'avais écrit un beau courrier pour refuser de décrire les pathologies et les traitements dont souffrait le gardé à vue que j'avais interdit de visite (c'est d'ailleurs la seule fois ou le substitut m'a appelé. Très surpris de sa propre réquisition).
Alors pour finir évidemment
"Souvent la police demande des trucs qu'ils considèrent comme urgents et surtout que le secret médical n'est qu'un secret professionnel qui n'est pas opposable aux forces de l'ordre."
RépondreSupprimerC'est près très clair comme phrase, c'est bien faux?
Si si c’est clair. Pour certains policiers il n’y a pas de spécificité du secret médical
RépondreSupprimerTrès bonne analyse de la situation, avec une pointe d'humour et une étincelle de génie!!
RépondreSupprimerPas mal pas mal ...
RépondreSupprimerMerci pour cet éclairage ;)