lundi 24 juin 2019

Ce que personne n'ose dire pour vraiment réformer les urgences (et que ça marche)


Ce texte a été initialement publié sur le site du Huffington Post: ici et on leur dit merci

A l’heure où on parle encore des problèmes aux urgences, d’une énième grève, de savoir si oui ou non les gens viennent aux urgences pour rien, des brancards dans les couloirs, des problèmes de lits dans l’hôpital, de l’opposition privé public, et où se profile un nouveau rapport, peut-être est-il temps de réfléchir vraiment à un nouveau système plutôt que de colmater l’existant avec de vieux pansements.
Oui les urgences marchent mal ; oui elles sont soumises à la pression, prises entre un accroissement de patients, une obligation de moyen, et une absence de solutions de sortie à l’hôpital ou à la maison. Cette situation qu’on nous rabâche chaque jour n’est pas franco française mais internationale. Et comme à l’international il va falloir trouver des solutions. Le repli sur soi, le corporatisme médical, institutionnel ou la résistance au changement sont des obstacles auquel il va falloir se heurter plutôt qu’essayer de les contourner.
Il faut commencer par réformer notre préhospitalier et résoudre le conflit permanent entre pompiers et SAMU sur la régulation des appels et l’envoi des secours. Notre préhospitalier français est le Concorde de la médecine. Un outil magnifique mais cher et dont l’efficience a rarement été mesurée. Devons-nous attendre qu’il s’écrase ? Nous n’avons pas de paramédicaux formés comme dans d’autres pays où ils rendent de très grands services et pourraient faire économiser du temps de médecin dont on manque par ailleurs. Mais devant les problèmes de disponibilité des SMUR, on préfère envoyer des infirmiers, certes aguerris mais dont la formation n’a jamais été celle des paramédicaux étrangers.
On entend dire qu’il faut réguler les urgences, mais nos centres d’appels sont déjà complètement débordés. Et pourtant la régulation à la française rend de très grands services pour les patients les plus graves évitant de les faire passer par les urgences. Où trouveront-nous de la main d’œuvre médicale formée pour gérer tous les appels téléphoniques ? D’autres pays ont confié ça à d’autres professions.
Environ 20% de nos patients relèvent de la médecine générale, pardon des soins non programmés. « Il n’y a qu’à les renvoyer ». Comment ? Nous n’en avons pas le droit sans avis médical ou sans consultation ? Vers qui ? Pourquoi n’existe-il pas des échelles de tris validées, pourraient permettre de renvoyer ces patients sans mettre en danger la responsabilité de nos infirmières à l’accueil ? Non on préfère dire qu’il existe des maisons médicales de garde dont toutes les études internationales ont montré qu’elles ne participaient en rien à régler le problème des urgences. A côté des structures de soins non programmés se créent, avec des plateaux techniques, plébiscitées, elles par les patients, procurant aux urgentistes un boulot mieux payé et moins difficile. Ne devrions mous pas plutôt promouvoir ce type d’activités.
Mais éviter que les patients se présentent aux urgences, c’est aussi de l’éducation à la santé. C’est aussi la responsabilité de chacun dans la collectivité. Comment imaginer que l’hiver prochain nos urgences seront remplies de personnes fragiles pas vaccinées contre la grippe (et je ne parle même pas de ceux qui viennent actuellement avec la rougeole). C’est aussi, accepter de ne pas avoir une réponse immédiate sans une société qui promeut ce type de réponse. Car la réponse immédiate à un prix que la solidarité seule ne peut pas couvrir. Doit-on accepter au final une médecine à plusieurs vitesses en fonction de la rapidité de la réponse ?
Parmi les patients que nous recevons, environ un quart devront être hospitalisé. Hélas, ils ne trouvent un lit qu’après des heures d’attente sur un brancard. C’est bien connu et de multiples études ont montré que c’était néfaste à leur santé. De nombreux hôpitaux ont nommé des gestionnaires de lit ou bed manager. Mais ceux-ci ont un pouvoir restreint et le choix des patients à hospitaliser ne dépend pas d’eux. Les directions ne sont pas notées sur les patients dans les couloirs qui de toutes façon sont facturés comme s’ils étaient dans un lit. Les ervices receveurs eux-mêmes encombrés de patients qui ne sortent pas , n’ont pas non plus fait la révolution d’un hôpital qui tourne vraiment 24/24 quand la grande majorité des hospitalisés viennent des urgences.  
Mais soyons franc. Si les urgences fonctionnent mal, c’est aussi de notre faute à nous, urgentistes. Alors oui il manque de personnel non médical aux urgences, mais pas là où on nous le dit. Les hôpitaux universitaires concentrent les moyens humains et pourtant ce sont eux qui sont en pointe dans le mouvement de grève. Pourquoi ? Mauvaise organisation de l’aval certainement car c’est un secret de Polichinelle que les services universitaires acceptent avec difficulté le tout venant de patients. Mais ce sont aussi les services d’urgences les plus pléthoriques en personnel d’encadrement. Pourquoi ? Est-ce leur spécificité universitaire ? Et à chaque grève, ce sont ces établissement qui vont concentrer à nouveau les moyens . Ce sont eux également qui fixent des normes, impossibles à respecter pour les autres établissements et souvent sans fondement scientifique. 
Le manque de médecins urgentiste est le problème le plus souvent mis en avant avec la rudesse de leur travail. Alors soyons modernes et obligeons les urgentistes à ne plus travailler 24h d’affilée, au moins en commençant dans les grands centres. Et allons plus loin, institutions les journées de 8h, on sait que de toutes façons au-delà les gens sont moins performants. Et puis il faut le dire, comment explique la différence entre le privé et le public ? Est-ce seulement parce que les patients sont moins complexes ? Probablement. Mais étrangement il semble que les médecins du privé soient plus productifs à niveau de gravité égale des patients. Pourquoi ? Parce qu’ils sont payés à l’acte ? Devra-t-on un jour évaluer le travail de nos soignants ?
On assiste à une fuite majeure d’ailleurs de ces urgentistes vers les plateformes sans rendez-vous ou l’intérim est tellement mieux payé, détruisant nos équipes. La difficulté des urgences doit être rémunérée, l’hôpital le constate à ses dépens ; Je ne sais pas s’il faut réformer le statut de la fonction publique mais tout le monde sait qu’on ne peut pas comparer la difficulté physique d’une journée aux urgences à la plupart des autres services de l’hôpital. Et pourtant au nom de l’égalité, on perd de bons éléments épuisés et non récompensés.
Quel est l’avenir de nos infirmières ? Celles qui s’accrochent aux urgences ? Aucun sinon de se désespérer à petit feu sans autre perspective d’évolution que l’encadrement ou le départ. Permettons qu’elles puissent elles aussi devenir prescriptrices, qu’elles puissent avancer comme c’est le cas encore une fois ailleurs. C’est en bonne voie avec les infirmières de pratiques avancées sauf que celles –ci sont actuellement réservées aux pathologies chroniques et de nombreuses années s’écouleront avant qu’on en accepte aux urgences.
Enfin il serait temps de faire pénétrer les nouvelles technologies dans nos hôpitaux. Non seulement la biologie au lit du malade quand elle est nécessaire mais les différentes reformes l’ont fait plutôt disparaitre, des accès rapides en imagerie, de l’IA et non plus des heures de discussion pour obtenir un scanner comme c’est toujours le cas depuis 30 ans alors que c’est devenu un examen courant.
Mais surtout sachons nous organiser, organiser nos flux, trop de services d’urgences ne sont pas si bien organisés quoiqu’on en dise et surtout n’évaluent jamais cette organisation. Et rajouter du personnel dans un service complètement débordé sans repenser son fonctionnement, ca ne sert à rien. Il faut reconnaitre la nécessité d’un management efficace. Comment peut-on croire qu’un responsable d’un service qui reçoit des dizaines de milliers de patients tous les ans avec des équipes comportant jusqu’à une centaine de personne voire beaucoup plus, qui en permanence participe à des réunions dans l’hôpital, à l’extérieur de l’hôpital, qui doit gere son service fasse ça quand il en a le temps ?
Transformons nos urgences rapidement, car de toute façon nous n’avons pas le choix. La transformation de notre système de santé mettra des années à se faire, celle de nos urgences doit être plus rapide. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Le choix des lecteurs

voila l'été, voila l'été

Comme d'habitude, ce blog est l'expression de mes opinions personnelles, n'engage que moi et ça suffit déjà bien comme ça. ...